Histoires de Paris

A chaque coin de rue de Paris, des histoires… souvent revues, réadaptées mais fascinantes

Histoires de quartier

La rivalité entre Manda et Lecca

La rivalité entre Manda et Lecca : une bataille sans merci entre deux chefs Apaches au début des années 1900.

 

Au tout début du XXe siècle, Paris fait face à une forte criminalité. Des jeunes gens, notamment dans le nord de la ville font régulièrement la une des journaux pour leurs faits de guerre.  On les appelle les Apaches.

En cette fin de mai 1902, Le Mot d’Ordre revient sur une affaire qui occupe le Tribunal de Paris : la rivalité entre les chefs Apaches Manda et Lecca.

 

Les protagonistes

Commençons par la surprise du journaliste en voyant les personnes citées à la barre en cette fin de mai.

« L’on s’attendait à voir entrer au banc des accusés trois pittoresques garnements en pourpoint, je veux dire en bourgerons troués aux coudes, avec des pantalons tombant sur des souliers éculés, et des yeux fulgurants sous des tignasses embroussaillées, le geste hardi, le verbe canaille, et ce sont des garçons décemment vêtus, adroits dans leur défense, qui viennent faire assaut de courtoisie avec le président dans leur interrogatoire. Oui, quelle déception ! Il n’y aura bientôt plus de pittoresque, et les plus abominables scélérats se cacheront sous d’impeccables habits noirs. »

Ce sont en effet des « jeunes gens proprement vêtus de complets presque neufs, ayant du linge blanc au col et aux poignets, des cravates soigneusement nouées et une raie très nette au côté de la tête ».

 

Manda

Commençons par l’accusé ! Manda. Et puisque le journaliste du Mot d’Ordre a pu le voir de ses propres yeux, laissons-lui la parole :

« De petits yeux pétillants et mobiles, un nez largement ouvert, qui a l’air de prendre le vent, une bouche fine avec un sourire cruel, et un maxillaire inférieur puissamment développé, tout cela réuni donne l’impression d’un mélange de ruse, d’énergie, de méchanceté, — d’intelligence aussi. Et cette impression n’est pas trompeuse, on va le voir.

Manda a la coquetterie de défendre son passé : de 16 à 20 ans, il termina ses études dans une maison de correction où un vol lui avait valu une bourse ; rendu au monde, il se laissa condamner cinq fois pour vol, vagabondage spécial. »

 

Lecca

En face de lui, Lecca ! Alors que Manda dirige les Apaches des Orteaux, Lecca est à la tête des Poppinc.

Lui aussi, est très jeune. Et lui aussi s’intéresse à la même femme !

 

Casque d’Or

Amélie Hélie est à l’époque une jeune femme. « Vingt-deux ans, fleuriste » selon ce qu’elle déclare à la barre. Prostituée pour d’autres ! En tout état de cause, elle est très intégrée dans le milieu, en étant juste avant les faits que nous évoquerons la maîtresse de Leca.

Avant de rentrer dans le détail de l’affaire, restons quelques instants sur son signalement : « une abondante chevelure blonde écrasée, emprisonnée sous un vulgaire chapeau de deuil ; un front dissimulé sous les cheveux, dont on ne devine pas la forme. Des yeux petits et bleus ; un nez moyen, comme disent les permis de chasse, le reste du visage ordinaire, quant à la taille : enveloppée dans un long fourreau de drap couleur cata de poule, elle paraît cylindrique ; du menton au bout des pieds, la ligne est droite ; et elle est également droite du chignon au talon. »

 

Une première escarmouche.

Tout démarre à la fin de 1901 ! Le 30 décembre pour être précis.

« La bande à Manda rencontra la bande à Lecca rue de Popincourt. Casque d’Or, qui était avec Lecca, signala l’approche de l’ennemi. « Le voilà ! » cria-t-elle. Mais déjà Manda s’élançait sur Lecca ; Casque d’Or, belle de dévouement, se jeta entre les deux hommes, et le coup de couteau qui devait atteindre Lecca en pleine poitrine ne fit que l’effleurer au sommet du crâne. Lecca devait sa précieuse vie à sa maîtresse ! »

Entre apaches rivaux, cela ne rigolait pas !

Mais même si Lecca s’en sort plutôt bien de cette première escarmouche, les tirs continuent.

« Autour des deux chefs, les soldats échangeaient des coups de revolver. »

 

Deuxième attaque

« Le deuxième épisode de cette guerre amoureuse est minime : quelques coups de revolver tirés par Manda et ses amis, sous les fenêtres de la maison où Lecca et Casque d’Or abritaient leur lune de miel. »

La volonté d’en découdre est donc tenace. Manda est prêt à s’attaquer à son rival jusque devant chez lui, sur son terrain.

 

L’attaque de la rue d’Avron

Et cela continue.

« Le troisième eut pour théâtre la rue d’Avron. Les deux bandes se heurtèrent à la porte d’un bar.

– Tous sur Lecca ! cria Manda au prime choc, et Lecca tomba percé de deux balles. Un Apache allait l’achever, lorsque l’un des siens le dégagea à coups de hache. Mais la lutte fut chaude. Il y eut cinq ou six blessés, et le lendemain les policiers, qui s’étaient prudemment tenus à l’écart, firent une abondante récolte de poignards et de revolvers.

Pour sa part, l’Apache surnommé le Dénicheur avait reçu trois projectiles.

Le 8 janvier, il y eut un épisode comique : la bande Manda fit prisonnier un ami de Lecca, nommé Schmidt, et sa maîtresse ; puis ils adressèrent à Lecca une lettre le sommant de se rendre chez un certain Le casseur, faute de quoi Schmidt serait passé par les armes.

— Tuez-le si vous voulez, répondit Lecca, je le vengerai !

Schmidt fut relâché, sans mal, ce qui a permis de voir en lui un traître. »

 

Une fois encore Lecca est vivant. Touché mais vivant ! Du fait de sa blessure, il n’a d’autres choix de rejoindre l’hôpital Tenon et d’y subir un premier interrogatoire de police.

 

La dernière tentative

La rancune de Manda était cependant intact. Aussi, il alla le chercher à sa sortie de l’hôpital.

« Le chef des Apaches était décidé à exécuter son rival.

– Casque d’Or, dit le président, était allée vous chercher avec une voiture à l’hôpital. Elle vous y fit monter : vous étiez assis, adossé à la portière, les jambes étendues sur celles de votre maîtresse. Sur le siège avait pris place votre ami Domergue qui donna des signes d’inquiétude dès le départ. C’est que Casque d’Or avait signalé un homme qui vous suivait…

Tout à coup, vous paraissez, Manda, vous bondissez sur le marchepied ; votre bras armé d’un couteau entre dans la voiture et frappe : Lecca reçoit un coup en pleine poitrine qui lui traverse le poumon, et Herbs, qui était sur le strapontin, est blessé deux fois.

Du haut du siège, Domergue tire deux coups de revolver sur l’homme qui suivait le fiacre et qui avait indiqué votre position à l’intérieur. C’était Ponsart ; il eut le bras traversé. »

 

La raison de leur rivalité

Ainsi que vous avez pu le comprendre, la rivalité entre Manda et Lecca est une histoire de cœur. Casque d’Or avait été la maîtresse de Manda au début. Mais, à la suite de l’infidélité du chef Apache, elle se réfugia dans les bras de Lecca.

Ainsi naquit cette rivalité !

A l’issue du procès, Manda et Lecca furent condamnés au bagne et ne revirent jamais Paris.

 

Sources bibliographiques :

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