Histoires de Paris

A chaque coin de rue de Paris, des histoires… souvent revues, réadaptées mais fascinantes

Histoires au détour d'une rue

L’avenue Ledru Rollin noyée par la crue de 1910

L’avenue Ledru Rollin noyée par la crue de 1910 : les enterrements se faisaient en barques par les policiers.

 

Les jours autour du maximum de la crue de 1910, une grande partie du Faubourg Saint Antoine et des Quinze Vingt se retrouva sous l’eau. L’eau arrivait de partout.

Revue de presse

 

La crue revient près d’un repère de 1760 !

Dans ses colonnes du 27 janvier, le Matin dresse un panorama rapide de la situation du côté de l’avenue Ledru Rollin

« Le boulevard Diderot était un peu plus tard submergé par le quai de la Rapée, et la rue Traversière, gagnée par le flot, n’était plus à la tombée de la nuit qu’une longue avenue d’eau doublant l’image désolée des façades. A l’angle de l’avenue Ledru Rollin et de la rue de Charenton, à droite de l’entrée de l’hôpital des Quinze Vingt, une très ancienne inscription oubliée rappelait à 0m.60 du sol qu’en janvier 1760, l’eau était montée jusqu’à la pierre où elle est scellée. Qui sait si demain, on pourra encore déchiffrer  l’inscription évocatrice des malheurs d’antan ? « 

 

Le sol se fissure

Par ailleurs le Petit Parisien évoque quelques anecdotes dans le quartier :

« A dix heures du soir, les eaux formaient là une nappe longue de trois cent mètres  et traversée d’un violent courant. Elles avaient envahi l’avenue  Ledru Rollin, où elles formaient une espèce de fontis que des centaines de curieux contemplaient avec stupeur. Les boutiques envahies avaient été désertée sur le côté droit de l’avenue, par leurs occupants. »

 

Un accident dans l’obscurité

« Un camionneur, qui faisait franchir ce dangereux passage à ceux qui le désiraient, moyennant une rétribution de 10 centimes par voyage, fut cause d’un accident sérieux. Les clients ne lui manquaient pas et semblaient trouver agrément à franchir cette masse puante. Mais, brusquement, le sol céda sous les pas du malheureux cheval, qui, pour la dixième fois, recommençait ce pénible voyage avec de l’eau jusqu’au poitrail. Le camion bascula et creva une conduite de gaz, cependant que les  vingt cinq personnes qui avaient pris place sur l’inconfortable véhicule prenaient aux rires des spectateurs – dont la gaieté ne dura pas longtemps – un bain forcé, aussi boueux que froid.

Les becs de gaz s’étaient éteints, l’obscurité régna dans l’avenue. Il y eut des cris, une bousculade, plusieurs personnes furent renversées dans le courant limoneux.

Heureusement, des agents de service non loin de là accoururent, des torches à acétylène au poing,  et purent, non sans peine, rétablir l’ordre… Déjà, quelques gredins avaient profité du désarroi et de l’ombre pour voler, chez un marchand de vins, une dizaine de flacons de liqueurs et d’eau de vie… »

 

Des enterrements en bateau

Les heures passent et la situation se dégrade, comme le rappelle le Matin du 28 janvier

« L’avenue Ledru Rollin et la rue de Lyon sont converties en de larges et impraticables canaux. La profondeur de l’eau varie entre un et deux mètres. »

 

Mais c’est le 29 janvier que le Petit Parisien évoque une autre drôle anecdote.

« Une barque s’avance vers nous venant de l’avenue Ledru Rollin. Quatre gardiens de la paix s’y tiennent debout : deux à l’arrière, près du marinier ; les deux autres à l’avant. Entre les deux groupes, nous apercevons un objet volumineux, comme une caisse.

Les bateaux se rapprochent ; la vision se précise. L’objet volumineux qui nous avait paru être une caisse est un cercueil.

Des gardiens de la paix faisant office de croque-morts, sont allés mettre en bière, le cadavre de Mme L…, morte chez elle, avenue Ledru Rollin, 85. Ils ont chargé le cercueil sur canot et le transportent vers le corbillard qui attend là-bas, bien loin, les roues noyées jusqu’aux essieux.

En accostant au ponton de la gare de Lyon, nous apprenons que trois enterrements se sont encore faits dans la matinée dans des circonstances analogues : celui d’une dame D…, 28, rue de Charenton, un autre rue de Bercy et le quatrième rue Emilio Castelar. »

 

 

« On réquisitionne le pain »

« Des milliers de ménages ont quitté leurs maisons entourées d’eau parfois jusqu’à la hauteur du premier étage. Néanmoins, tous n’ont pas suivi cet exemple.

Il y a encore des centaines de personnes qui attendent dans leur appartement, rue de Lyon, rue Ledru Rollin… la fin de l’inondation. Le nombre des bateaux et radeaux serait insuffisant s’il fallait mettre à disposition de chaque ménage pour qu’il pût effectuer ses provisions ; aussi, pour éviter que les embarcations ne soient pas trop distraites du service du sauvetage auquel elles sont affectées, M. Boutineau, commissaire du quartier, a organisé le ravitaillement de ces « insulaires » d’une façon pratique. A la première heure, il a réquisitionné le pain d’une vingtaine de boulangers et l’a fait chargé sur des bateaux qui ont effectué les distributions. « 

 

Un autre accident mortel.

Avec les nombreux passages des piétons et le niveau de l’eau, l’avenue Ledru Rollin fut malheureusement le théâtre d’un accident mortel.

Le Petit Parisien du 30 janvier nous le décrit.

« Dans la nuit, vers une heure, un homme qui passait sous un ponton, à l’angle de la rue Ledru Rollin et de la rue de Charenton, tomba à l’eau. Le marinier Simonnet et M. Arthaut le repêchèrent, mais le pauvre diable ne put être rappelé à la vie. C’est un nommé Georges Husson, trente-trois ans, ébéniste, 9, rue de Neufchâteau. »

 

Un coup de revolver dans la nuit

La détresse n’était pas achevée. En effet, le 31 janvier, le Petit Parisien narre une manière désespérée d’appeler au secours.

 

« Au numéro 22 de l’avenue Ledru Rollin, une détonation éclata dans la nuit. C’était un habitant, M. Louis Colin, qui venait de tirer un coup de révolver pour appeler un marinier et se faire transporter sur la terre ferme. On alla le chercher immédiatement. »

 

Sources bibliographiques :

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