Le bœuf gras
Le bœuf gras, le cortège d’une corporation devenue le cœur du Carnaval dans la seconde partie du XIXe siècle.
Dans son ouvrage sur le Carnaval au XIXe siècle, Alain Faure décrit avec de nombreux détails l’histoire du boeuf gras. La voici :
Une coutume née d’une revendication d’une corporation
A partir du XVIIIe siècle, les bouchers prirent l’habitude de faire défiler un bœuf les jours gras. En effet, dans le cadre de leur fête corporative, ils déambulaient dans les rues avec un de leurs plus beaux spécimens.
La première apparition du bœuf gras date de 1739. Cette année-là, 15 garçons bouchers firent mener un bœuf sur les marches du Palais, afin de se rappeler au premier président du Parlement de Paris d’alors. Ils gardèrent ensuite l’habitude de venir présenter un bœuf aux autorités.
Comme le reste du Carnaval, cette habitude fut supprimée en 1790 à l’occasion de la Révolution. Toutefois, elle fut rétablie par Napoléon en 1805. Cela permettait à l’empereur d’exalter à la fois les parisiens par le spectacle et les bouchers qui pouvaient ainsi pavaner dans les rues.
Une manifestation très codifiée et régulée
Contrairement aux grandes manifestations du Carnaval, ici aucune improvisation pour le passage. Tout était contrôlé par le syndicat. La police de Paris validait elle-même l’itinéraire et le publiait en avance. Ainsi, le bœuf gras déambulait dans la ville dans un grand ordre pendant les trois jours gras.
Le cortège sous l’Empire avec le bœuf portant l’amour
Devant, les marchands bouchers de première classe ouvraient la marche. Ils portaient fièrement cravate blanche, pantalon et veste rayés, bottes à la hussarde, manteau rouge, brodé d’or…
Derrière, la troupe suivait avec dix mamelouk, six sauvages, six romains, quatre grecs six chevaliers, six polonais, deux espagnols, un tambour, vingt musicien, douze garçons bouchers portant les attributs du métier. L’infanterie fermait la marche. Le bœuf était monté par un enfant nu, tel Cupidon.
Le Bœuf gras sous la Monarchie
L’étiquette du cortège changea à la Restauration. Ce fut surtout l’habit du bœuf qui changea : panache sur la tête, vêtement riche… L’amour était déplacé sur un char à l’arrière de l’animal, guidé par un vieillard à long barbe représentant le temps. Derrière, suivaient les références au passé de la Monarchie.
Cette approche fut reconduite pendant la Monarchie de Juillet, Ainsi, on vit en 1844, Louis XIII, Louis XIV, François 1er, Henri III…
Un jury pour désigner le plus beau bœuf
A partir de 1821, un jury fut institué pour choisir le plus beau bœuf. Installé au marché de Poissy, il avait la lourde tâche de désigner l’animal. Ce concours existe encore aujourd’hui : le Concours agricole lors du Salon de l’Agriculture. Le propriétaire de l’heureux élu était alors primé et le boucher acquéreur avait le droit à sa place dans le cortège.
Chaque année, le bœuf était nommé. Pendant la Monarchie de Juillet, on retint plutôt les noms des personnages de roman à la mode. Ensuite, sous le Second Empire, on puisa dans le registre militaire et ses victoires.
Le Bœuf gras, une des principales attractions du Carnaval au Second Empire
Au Second Empire, le Bœuf gras était devenu pratiquement l’une des dernières attractions du Carnaval de Paris. La promenade des masques avait alors disparu. Au fil du temps, ce ne fut plus un seul bœuf qui avançait sur le pavé parisien mais quatre.
Il était suivi par deux chars, allégories de l’agriculture et de la cuisine.
A partir de 1865, le cortège fut suivi d’une caravane publicitaire. Ainsi, en 1870, il faisait participer 400 personnes. La fête était aussi l’occasion de donner des beaux spectacles : Gargantua géant en 1866, lâcher de montgolfière à la forme d’un bœuf en 1868…
Progressivement les bouchers de ville ne purent plus acheter le bœuf gras. Ce fut des industriels, Duval et Porret, notamment qui se les offraient, enrichis grâce à la restauration.
Remplacement du Bœuf gras par une caravane publicitaire
Sous la République, progressivement le Bœuf gras se fit moins présent. Toutefois, la caravane publicitaire lui survécut quelques temps. Ainsi, dans les années 1880, de nombreux chars déambulaient ces jours gras : Biberon Robert en 1887 avec 300 cavaliers, les magasins Dufayel en 1886 à l’occasion d’un défilé historique s’étalant des romains au Directoire…
A noter qu’au début du XXe siècle, le cortège se poursuivait dans la ville. Toutefois, la date s’est déplacée. En effet, il se tenait non plus les jours gras mais à la mi-carème.
Dans ce cortège, le boeuf gras était installé d’abord sur une charrette (1913) puis sur un char. C’était aussi l’occasion de mettre en valeur la boucherie qui avait pu acquérir l’animal. Ce phénomène aurait continué au moins dans les années 1930.
Sources bibliographiques :
- Faure, Alain. Paris Carême prenant. Du Carnaval à Paris au XIXe siècle. Hachette. 1978
- Programme officiel, ordre et marche du Boeuf gras accompagné D’un boeuf de race cotentine, sans cornes en 1857