Le Chocolat Cuillier
Le Chocolat Cuillier, le « meilleur et le meilleur marché » de tout Paris, installé au XIXe siècle rue Saint Honoré
Avec les magasins de nouveautés s’installe un nouveau type de commerce. Bien sûr, il concernait tout d’abord la commercialisation d’habits et autres vêtements, changeant suivant les modes. Mais cela impliquait également d’autres produits et notamment alimentaires. La vente de chocolat, mêlant à la fois un luxe venu d’ailleurs et un véritable plaisir gustatif, reprenait certaines de ces caractéristiques. Analyse de cette situation en s’intéressant à l’histoire d’un chocolatier, Cuillier, installé rue Saint Honoré !
Cuillier, un produit lauréat des concours du début des années 1840.
Bien avant les expositions universelles, internationales et grandioses, le commerce et l’industrie étaient marqués en France par des expositions régulières. Ces concours avec une visibilité d’ordre national donnaient l’occasion de rendre des prix. Ainsi, les lauréats pouvaient ensuite non seulement s’enorgueillir de ces distinctions mais également les mettre en avant dans la presse.
Ainsi, on pouvait lire dans la Prese du 9 juillet 1840 : « Le rapport de l’Académie d’industrie fait au Comité du commerce explique d’une manière incontestable la supériorité des Chocolats Cuillier, à la Caravane, rue Saint Honoré, 293. ».
La publicité détaille ensuite les prix pratiqués pour les différents chocolats de la marque. Cette communication est ensuite relayée à de multiples reprises tout au long de l’année.
Des chocolats bon marché de bonne qualité ?
« Depuis que l’usage du chocolat est devenu universel, on a vu se multiplier des fabriques en France comme ailleurs, mais la question principale, celle de l’amélioration des prix avec l’excellence de la qualité, toujours éludée ou étrangère. Cependant, en se pénétrant des avantages qu’il offrirait à la consommation générale, un de nos plus habiles préparateurs, M. Cuillier, rue Saint Honoré, 293, a voulu établir la réputation de ses chocolats par le bon marché. C’était d’abord lutter à Paris contre cette injuste prévention qui ne trouve rien de bon qu’avec la recommandation d’un chiffre élevé ; toutefois, le préjugé a fait la place à la conviction la plus intime, et M. Cuillier a prouvé aux plus incrédules qu’il fabriquait d’excellents chocolats à des prix infiniment modiques. Mais, il ne suffit pas ici de vanter ces produits pour faire distinguer leur supériorité, nous conseillons à nos lecteurs de s’assurer comme nous que ce que nous venons de dire est la vérité la plus exacte. »
Voici résumé par le Constitutionnel du 15 juillet 1841, un des tours de force de Cuillier : proposer des chocolats à petits prix mais de bonne qualité.
Une nouvelle récompense au titre de la qualité du chocolatier.
1842 est pour les chocolats Cuillier l’occasion d’annoncer à leurs consommateurs la confirmation de la qualité de leurs produits. C’est en tout état de cause ce qu’on pouvait lire le 2 janvier de cette année dans la Gazette de France.
« Une médaille d’honneur a été décernée au Chocolat Cuillier. On est désormais à l’abri de toute concurrence. Sa fabrication est simple, son produit parfait. Tout consommateur peut demander à son prix d’acquisition ordinaire, avec l’assurance d’une qualité supérieure. ».
On trouve également une large proposition allant des chocolats ordinaires, fins, ferrugineux, au lait d’amandes, avec de la vanille, mais aussi des pralines, des olives, des pistaches… Enfin, le magasin propose également d’expédier franco de port pour toute demande de 15 demi-kilogrammes, accompagnée d’un bon.
Les axes de communication des chocolats Cuillier dans les années 1840
Par la suite, la chocolaterie poursuivra ses communications, profitant des changements d’années et des étrennes, mais aussi en rappelant que ses produits ne se vendaient que dans leur magasin de la rue Saint Honoré. Cette proposition de ne pas avoir de revendeur se traduisait par la promesse d’un prix plus bas (« N’ayant point de dépôt, c’est une économie de 30 à 40 pour 100 dont jouissent les consommateurs » pouvait-on lire dans le Constitutionnel du 27 septembre 1845).
On trouve également régulièrement une liste de certains produits proposés par le magasin, avec à chaque fois des annonces de prix fixes.
Déménagement d’un chocolatier pour conforter une stratégie de distribution exclusive
Jusqu’alors, les Chocolats Cuillier étaient installés au 293 de la rue Saint Honoré, à proximité de la rue des Pyramides. Mais, avec le succès, le magasin avait atteint ses limites de capacité. Aussi, la maison publia fièrement dès août 1850, son déménagement. Le Journal des débats politiques et littéraires du 3 août 1850 rapportait : « Le Chocolat Cuillier, pour agrandissement de sa fabrique, est transféré, 301, rue Saint Honoré, en face de l’église Saint Roch, A la Caravane. ».
Derrière cet agrandissement, il y avait également la confirmation et la revendication de la stratégie de l’entreprise : ne pas recourir à d’autres détaillants et conserver la totalité de la marge de commercialisation.
« Tous les jours, la demande est faite à la fabrique du Chocolat Cuillier : pourquoi n’a-t-elle pas de dépôts comme les autres ? Le Chocolat Cuillier donnant beaucoup au public, peut d’autant moins donner aux débitants, de là son exclusoir » Le Constitutionnel du 20 novembre 1850.
En tout état de cause, ces agrandissements ne se faisaient pas au détriment de la qualité perçue et reconnue. Ainsi, la Presse du 28 janvier 1851 relayait la nouvelle médaille de bronze attribuée à l’établissement.
Le Journal de Seine et Marne du 17 avril 1852, alla plus loin : « La critique faite de la modération des prix du Chocolat Cuillier devait nécessairement occuper l’attention publique. Tel était depuis longtemps l’avis des consommateurs ennemis de la routine, avis, du reste, partagé par l’honorable inspecteur des manufactures du département de la Seine, qui, après analyse faite de ces diverses qualités, dit n’en avoir pas trouvé de supérieures à Paris ».
Le magasin n’hésitait pas ensuite de communiquer : « Le Chocolat Cuillier a été officiellement reconnu le meilleur et le meilleur marché. »
L’élargissement de la gamme de Cuillier et le développement de la marque ‘A la Caravane’
Le chocolat ne suffisait pas. Ainsi, le 6 juillet 1851, l’établissement faisait savoir dans le Constitutionnel, qu’on pouvait trouver chez lui des « sucres, doubles raffinés, les meilleurs pour la confection des conserves, confitures et sirops. ».
A partir de 1855, Cuillier proposa également des thés, donnant à ces derniers le nom commercial avec lequel il annonçait également depuis ses débuts : « A la caravane ». Cette accroche fut ensuite plus fortement mise en avant dans les publicités des années 1860. C’était dorénavant les chocolats et les thés qui étaient « les meilleurs et à meilleur marché ».
Une distribution toujours plus large en France avec des entorses progressives aux principes initiaux
Tout en restant fidèle à son approche de distribution unique dans son magasin du 301 de la rue Saint Honoré, Cuillier élargissait la communication en France de ses produits. Certes, il ne recourait pas à d’autres magasins et d’autres distributeurs, mais il proposait des expéditions. Il lui fallait cependant constituer une réputation, comme on peut le lire dans le Courrier de Bourges du 6 janvier 1854.
« L’industrie du chocolat comporte deux fabrications bien distinctes que les consommateurs ne sauraient confondre sans grand préjudice pour leurs intérêts.
Il y a, d’une part, une fabrication dont les produits n’arrivent au public qu’après de grands sacrifices, tels que courtage, remise, escompte… (d’environ 30 pour 100) sans quoi ils ne seraient pas vendus. D’autre part, il y a la fabrication qui s’adresse plus directement au public, et pour laquelle les frais cités plus haut ne sont point une nécessité.
Il est facile d’apprécier que cette dernière, dégagée de ces énormes sacrifices, peut en augmenter d’autant ses qualités. C’est dans cette heureuse conditions que se trouve la fabrication du Chocolat Cuillier. Ces résultats rigoureusement observés et bien appréciés du public à Paris ne peuvent manquer d’avoir un égal succès en Province.»
Cuillier communiquait également dans le Petit Courrier de Bar sur Seine, le 30 mars 1855. Cependant, c’est avec grande surprise, qu’on y lisait : « Dépôt à Bar sur Seine chez M. Voudenet Ducloux ». Comme quoi, pour élargir géographiquement sa distribution, les intermédiaires étaient tout de même bien utiles. Par la suite, on put observer d’autres partenariats comme à Marseille chez M. Béranger, situé au 19, rue Thubanneau.
Fort de son succès, Cuiller augmenta une fois de plus ses capacités de fabrication en 1858.
Sources bibliographiques :
- La Presse du 9 juillet 1840
- Le Constitutionnel du 25 novembre 1840
- Le Constitutionnel du 15 juillet 1841
- La Gazette de France du 2 janvier 1842
- La Presse du 31 décembre 1844
- Le Globe du 18 août 1845
- Le Constitutionnel du 27 septembre 1845
- Le Constitutionnel du 4 août 1846
- Le Journal des débats politiques et littéraires du 16 décembre 1849
- Le Journal des débats politiques et littéraires du 3 août 1850
- Le Constitutionnel du 20 novembre 1850
- La Presse du 29 janvier 1851
- La Presse du 10 mars 1851
- Le Constitutionnel du 6 juillet 1851
- Le Journal des débats politiques et littéraires du 26 septembre 1851
- Le Journal de Seine et Marne du 17 avril 1852
- Le Siècle du 12 octobre 1852
- Le Courrier de Bourges du 6 janvier 1854
- Le Petit Courrier de Bar sur Seine du 30 mars 1855
- Le Constitutionnel du 2 mars 1857
- Le sémaphore de Marseille du 7 septembre 1858
- Le Droit du 29 septembre 1858
- L’Industriel de Saint Germain en Laye du 23 octobre 1858
- Le Constitutionnel du 14 décembre 1858
- La Presse du 11 avril 1860
- La Gazette de France du 21 octobre 1864
- L’Univers du 25 novembre 1868