Histoires de Paris

A chaque coin de rue de Paris, des histoires… souvent revues, réadaptées mais fascinantes

Histoires au détour d'une rue

Les différentes figures du père Lathuile

Les différentes figures du père Lathuile : héros, père Noël et ivrogne, la légende a ses nombreuses facettes.

 

Quelle figure étonnante que celle du père Lathuile ! Ce célèbre propriétaire de restaurant près de la place de Clichy a fasciné de son vivant, tout au long du XIXe siècle, ainsi que les décennies qui suivirent.

Et comme nous allons le voir ces figures évoluèrent avec le temps.

 

Le héros

En 1814, Napoléon est en déroute. Son armée est poursuivie par une coalition de Prussiens et de Russes. Ils arrivent aux portes de Paris et veulent s’en emparer afin d’infliger une défaite définitive. Seulement l’ennemi souhaite livrer bataille à l’extérieur des barrières et ne pas se confronter à une guérilla à l’intérieur.

La barrière de Clichy est un des lieux les plus forts des combats. C’est là que les Lathuile ont leur cabaret. Le futur père Lathuile a alors dix huit ans. Il livre des efforts acharnés dans la lutte. C’est ainsi qu’il restera comme un héros de ce moment difficile, qui se solda par une défaite française.

Rappelons nous que le XIXe siècle est celui au cours duquel l’Etat nation se construit globalement en Europe. Cette construction s’appuie alors sur une histoire héroique. Aussi l’épopée napoléonnienne est forte, d’autant qu’elle se traduit par de victoires militaires grandioses, une refonte en profondeur de l’Etat en France, mais aussi par des lourdes défaites, une incapacité à répondre aux travers inégalitaires de la révolution industrielle. Ainsi, par son geste de bravoure, réalisé dans sa fougue de jeunesse, le père Lathuile devient une figure respectée notamment par les bonapartistes. Ce n’est pas donc pas étonnant que cette représentation revient en force à la fin des années 1840, au moment où Louis Napoléon Bonaparte tente par tous les moyens à se transformer du prince-président à empereur.

 

Le restaurateur adulé dans le quartier

Outre le héros, le père Lathuile fut un restaurateur hors pair. Il tenait sa guinguette avec beaucoup d’animation, attirant les noces et les bons moments. On profitait de sa cuisine. Puis au fur et à mesure que les années passaient, il transformait son établissement en restaurant plus haut de gamme. Il se mit à attirer les écrivains romantiques, au premier titre duquel Victor Hugo. De fait, c’était un personnage haut en couleur des Batignolles, dont il portait encore à sa mort en 1864 une part de l’âme.

Son établissement continua à porter son nom par la suite, devenu le quartier général des peintres impressionnistes.

Comme ses ancêtres, Jean Marie Lathuile avait su sentir l’évolution des attentes autour de lui. Il mesurait bien l’attrait que son jardin offre, avec sa fraicheur. Il offrait suffisamment de place pour recevoir des grandes tablées, essentielles pour les noces et les grandes rencontres de corps professionnels, mais aussi des espaces isolés et reculées, essentiel pour des rencontres discrêtes de toutes natures. Il observait également le changement progressif de la clientèle des environs. Au fil des années, les clients recherchaient quantité de viande et de vin clair se raréfient. Ils furent remplacés par des parisiens plus aisés. Nous parlerions aujourd’hui de gentrification, mais pour l’homme d’affaires avisé qu’était le père Lathuile, cela signifiait l’augmentation de ses prix.

 

Le père Noël

Après sa mort en 1864 et après la fermeture de son établissement au tout début du XXe siècle, l’image du père Lathuile resta dans les mémoires. Aussi, l’imagination joua tous ses effets. A partir de cette date, sa légende prend sa vie propre et se met à évoluer toute seule, au fil des souvenirs, des interprétations des parisiens. Le père Lathuile avait marqué les esprits et était rentré dans l’imaginaire collectif.

Au début des années 1920, un film sort en salle : le Noël du père Lathuile. Dans cet ouvrage, notre personnage est déjà âgé. Avec peu de ressources, il vit sous les toits. Cependant, il se met à héberger un enfant trouvé dans la rue et abandonné.

Pour Noël, il lui offre des jouets dans un accoutrement faisant penser au père Noël. La figure débonnaire et généreuse du personnage est largement louée.

 

L’ivrogne invétéré

Mais le père Lathuile pouvait avoir d’autres facettes. Dans un récit d’Angèle Veyre, il est décrit comme un ivrogne, cherchant le soir à faire le plus de bruit possible pour attirer les policiers. Il serait intéressé par passer du temps dans une cellule de dégrisement où il fut surpris à rêver à une ancienne conquête amoureuse.

Cette figure est aussi intéressante. En effet, en bon tenancier de guinguette, le père Lathuile avait son côté disciple de Bacchus, avec tout ce que cela implique. Au XIXe siècle, ces établissements étaient essentiels pour beaucoup de parisiens pauvres, totalement préoccupés par leur survie. Leur quotidien passait autour de taches manuelles exténuantes, avec des conditions d’alimentation et d’hygiène difficiles. Les accidents, les disputes étaient monnaie courante. Aussi, la fête, le carnaval, les guinguettes étaient des espaces de liberté et de plaisir essentiel. Pour beaucoup, une partie de l’argent gagnée était destiné à ces moments de relâche. De ce fait, la figure de l’ivrogne, même au début du XXe siècle lorsqu’Angèle Veyre écrit son texte, n’est pas celle si négative que nous avons en tête aujourd’hui. Le père Lathuile était le visage de la fête et de bons moments.

 

Notons qu’avec la transformation continue de Paris, notamment après la Seconde Guerre mondiale, l’image du père Lathuile disparait totalement. En réalité, c’est un souvenir d’une certaine manière de faire la fête, comme le carnaval qui s’évanuit avec une nouvelle manière de voir la société.

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