Histoires de Paris

A chaque coin de rue de Paris, des histoires… souvent revues, réadaptées mais fascinantes

Histoires au détour d'une rue

La dynastie des Lathuile

La dynastie des Lathuile : de paysans à célèbre restaurateurs pour s’achever en riches propriétaires fonciers

 

Le père Lathuile fut une institution, un des restaurants dont la renommée dépassait largement la place de Clichy près de laquelle il était établi. Plusieurs facteurs amplifièrent cette célébrité : une contribution héroïque lors du siège de Paris en 1814, les habitudes des écrivains romantiques…

Mais au-delà du seul Jean Marie Lathuile, ce fut une véritable dynastie qui se succéda sur ce terrain des Batignolles, contribuant à la réussite des lieux.

 

A l’origine une ferme

Démarrons notre histoire au XVIIIe siècle ! Paris est encore loin, mais son influence toujours grandissante se rapproche. Les alentours de ce qui deviendra la place de Clichy, qui n’est pas encore la Barrière de Clichy, sont occupés par les champs. L’agriculture est encore largement présente. Cependant les Lathuile y étaient déjà installés.

Comme nous le lisons dans Gil Blas, le 26 janvier 1906, ce « n’était, vers le milieu du XVIIIe siècle, qu’une ferme, importante d’ailleurs, contenant soixante vaches, un nombre incalculable d’animaux de basse-cour, qui envoyait tous les jours dans Paris du lait et des œufs en quantité, car, à cette époque, la capitale ne pouvait s’approvisionner au loin. Elle fournissait spécialement la prison pour dettes de la rue de Clichy, où passèrent nombre de fils de famille, et même un cardinal. Tous se trouvaient très bien de cet excellent régime végétarien, qui les reposait des agapes aussi coûteuses que somptueuses. »

Ainsi que nous le comprenons, il s’agissait bien d’une grande ferme, profitant de la proximité avec la capitale, avec ses clients de prédilections, mais pas seulement.

 

Une guinguette

Puis, un Lathuile sent qu’il est plus intéressant de poursuivre son activité autour d’une petite guinguette. C’est visionnaire à plusieurs titres : tout d’abord, avec la ville qui s’approche, ce sont toujours plus de gens qui viennent. Ils sont nombreux à venir sur les périphéries de Paris pour profiter de la campagne.

« En 1769, un Lathuile fit construire sur l’emplacement de la ferme le petit bâtiment à un étage, simple et élégant, qui subsiste encore aujourd’hui, et y créa un restaurant. Les événements allaient décider de sa vogue. »

Avec la construction du mur des fermiers généraux, la guinguette est située du bon côté, à savoir à l’extérieur, sans être exposée aux taxes sur la viande et le vin. Les parisiens se ruent aux barrières pour s’encanailler le dimanche, manger, boire et danser. Tout un business dans les restaurants des guinguettes s’installe. Les Lathuile en profitent fortement.

 

Le célèbre père Lathuile : Jean Marie Lathuile

En 1814, le fils Lathuile n’a encore que 18 ans. Mais les circonstances sont tragiques :

« C’est l’invasion. On se bat à la barrière de Clichy, et la garde nationale défend héroïquement la position des Batignolles contre les 15.000 hommes de Blucher. Le père Lathuile lui ouvre les portes de son établissement, de ses caves, de ses réserves : « Mangez ! buvez tout ! Au moins, les Russes ne l’auront pas ! »

Ce fut un précieux réconfort pour les combattants. Pendant cette journée de lutte suprême, M maison du père Lathuile ne cessa d’être l’objectif des boulets ennemis.

Comme hôtes célèbres, elle eut Napoléon, pendant les Cent Jours ; le maréchal Moncey et toute une foule galonnée d’officiers supérieurs. »

C’est un véritable héros qui est ensuite à la tête de la guinguette. Le père Lathuile qui restera dans les mémoires est celui-ci. Il est aussi un redoutable homme d’affaires.

 

La bonne adresse des écrivains romantiques

Les romantiques aiment les bons moments. On les trouvait souvent dans les extérieurs de Paris, à la campagne, en train de profiter des belles adresses. Le Figaro nous en dit un peu plus le 27 novembre 1864.

« Vers 1830, la littérature, cette vagabonde qui sème la fortune partout où elle passe, et, seule, n’en récolte rien, envahit le cabaret des Batignolles. Les dandys même du monde littéraire, Musset, en habit vert, à boutons luisants ; Roger de Beauvoir, en gilets multicolores et en transparents éclatants, franchirent gaiement la barrière. Le père Lathuille était décidément inventé…

Des fantaisistes titrées, piquées des mouches de la Régence, ne craignirent pas de s’y compromettre : les actrices les suivaient, les filles à la mode arrivaient sur les talons des actrices. L’humble établissement du traiteur semblait indigne de toute cette fringante clientèle. Jean-Marie, le démonteur de Prussiens et enleveur de chevaux, était devenu un fin commerçant : il fit bâtir le restaurant que nous connaissons en lui laissant l’enseigne populaire du cabaret. »

 

Gil Blas confirme également :

« Puis vinrent, plus tard, les artistes, les littérateurs, les auteurs dramatiques les plus célèbres, Dumas, Victor Hugo, Musset, etc.

« J’allai diner un jour chez le père Lathuile J’y rencontrai Durand, vaudevilliste habile. » a écrit ce dernier.

 

La transformation en restaurant

Une guinguette c’est bien mais un restaurant c’est mieux. Avec l’annexion des Batignolles par Paris, dans les années 1860, le père Lathuile se retrouve dans la capitale. Depuis la création de l’enceinte de Thiers, elle était déjà dans son périmètre. Pour le père Lathuile, il est temps de se transformer.

Les habitués cherchent des plats meilleurs, un cadre plus recherché, comme nous le rapporte Gil Blas.

« La cuisine était délicate ; les petits salons discrets, bien disposés pour les intrigues galantes.

Le succès de la maison dura jusqu’à la fin du second Empire.

Puis elle subit les lois de l’évolution, comme tant d’autres établissements, célèbres, il y a quelque trente ans encore.

Elle, n’avait point perdu sa réputation de restaurant de gourmets, mais la clientèle s’était singulièrement raréfiée tout en se modifiant. »

 

Le relais de Jean Marie Lathuile à son gendre

Mais le père Lathuile n’est pas éternel. Il décida de passer la main à son gendre, si bien que dans sa nécrologie, on peut lire dans le Figaro du 27 novembre 1864.

« Les Batignolles avaient leur Véfour, et un Véfour dont l’air comme il faut rassura les bourgeois timorés. Le monde de la fantaisie s’éloignait, mais les bourgeois accouraient des quatre coins de Paris tous les dimanches, et il fut bientôt du bel air chez les plus gros rentiers de ne marier leurs filles que chez le père Lathuille. Si bien, qu’en mariant la sienne, le père Lathuille put confier tranquillement le gouvernement de la maison à son gendre et se reposer sur son million. Le repos l’a tué : il est mort d’une paralysie au cerveau. »

 

La transformation en café-concert

Puis dans le dernier tiers du XIXe siècle, le restaurant n’est plus suffisant. La mode pour les boulevards est au café-concert, qu’on voit fleurir partout depuis Pigalle notamment.

Gil Blas écrit :

« Le propriétaire actuel, qui appartient à la septième génération des Lathuile, vient de se décider à la transformer de fond en comble en en faisant un café-concert.

Cependant, la façade de cette petite maison quasi-historique sera conservée.

 

La tentation du casino

Ainsi que nous l’apprend le Figaro du 24 avril 1925, l’activité d’origine des Lathuile est bien loin en 1905. Il ne s’agit plus de ferme, de guinguette mais d’un casino, un kursaal comme on disait.

« En 1905, le propriétaire du restaurant, M.- Gauthier-Lathuile, le loua à Mme Marville qui devait en faire un kursaal. Il le louait 30 000 francs par an, plus 8% sur les recettes de l’établissement. Et le Père Lathuile disparut à tout jamais. Mais, pendant la guerre, Mme Marville ne fit aucun versement -sur ses recettes à M. Gaulthier-Lathuile. On plaida. Mme Marville soutint qu’elle n’avait point, fait les recettes que lui attribuait son propriétaire. El, elle présenta des livres de commerce, des bilans.

Gauthier-Lathuile trouva ces justifications suspectes et-déposa une plainte. Un expert examina, les livres de Mme Marville et les déclara truqués. Le comptable, suivant les indications que lui donnait …un agent d’affaires nommé Human, majorait les recettes et ne portait pas sur les livres toutes les recettes. Le Parquet renvoya, en police correctionnelle Mme Marville et M. Human. M. Gauthier-Lathuile se portait partie civile par l’organe de Me Flament. Mme Marvîlle lui a déjà rembourse 166.000 francs. Après plaidoiries de M. Armand Dorville et Montigny, la treizième chambre, présidée par M. Herbet, a condamné Mme Marville et M. Human a huit mois de prison sans sursis et a des dommages et intérêt à fixer par état. »

A cette date, les Lathuile vivent sur leur capital et loue tant bien que mal leur emplacement. Voici comment se termine cette histoire

 

Sources bibliographiques :

%d