Histoires de Paris

A chaque coin de rue de Paris, des histoires… souvent revues, réadaptées mais fascinantes

Histoires de quartier

La vigne de Montmartre

La vigne de Montmartre : une histoire millénaire mais solidement inscrite dans l’ambiance village de la Butte

 

Sur les flancs de Montmartre, on cultiva jusqu’à des temps assez récents la vigne. Est-ce que le vin y était bon ? Nous aurons l’occasion de revenir dans les prochaines lignes sur ce sujet, pris entre légendes anciennes et les goûts qui changent. Cependant, ne nous y trompons-pas ! Le complet recul de la vigne à Montmartre fut largement dû à l’urbanisation en cours dans le XIXe siècle sur la butte.

Au début du XXe siècle, des montmartrois voulurent reprendre cette ancienne activité, tout en y apportant des nouveautés. Ainsi, fut installé le clos Montmartre, donnant l’occasion au début du mois d’octobre à une belle fête des vendanges en début d’année.

 

Une présence ancienne

Pendant de nombreux siècles, la Butte Montmartre était à la campagne. On y dominait, certes, déjà la ville, mais elle vivait selon des habitudes paysannes. Tout en haut, dominait l’abbaye de Montmartre qui était suzeraine sur les environs.

Les paysans y pratiquaient une polyculture, élevant quelques vaches, faisant des céréales qu’ils broyaient dans leurs moulins à vent, ainsi que de la vigne sur les coteaux.

Aussi, on trouvait trace de la présence de la vigne dans de nombreuses archives, dès l’an mil notamment.

L’abbaye de Montmartre disposait de son propre pressoir, ce qui lui permettait de percevoir les taxes et les impôts qui lui étaient dus.

 

Les vignobles illustres de Montmartre

Démarrons ce chapitre par une anecdote comptée par le Monde Illustré du 18 septembre 1937 :

« En l’an 1214, il y eu à Paris, une exposition internationale des vins – oui, en 1214 ! – avec une dégustation par un jury de connaisseurs et classement par ordre de valeur. Ce jury était présidé par un philosophe nommé Rudolphe, lequel n’était pas moins savant en art de beuverie qu’en matière de dialectique ; et le dit Rudophe proclama que le vin de Chypre était le « pape » des vins, et que le Malaga en était le « cardinal » et que les trois rois en étaient le Malvoisie, l’Alicante et le vin de la « Goutte d’or », c’est-à-dire le cru le plus renommé du vignoble montmartrois… Encore le vin de Montmartre ne fut-il battu par le Chypre et le Malaga que parce que le roi Philippe Auguste, qui avait une préférence pour les vins sucrés, ordonna qu’on en réserva à ceux-ci les premières récompenses. »

Ainsi, sous Philippe Auguste, le vin de la Goutte d’Or et de Montmartre était primé !

En tout état de cause, au fil du temps, ce prestige se dilua. Sauval écrivait à la fin du XVIIe siècle : « C’est du vin de Montmartre, qui en boit pinte, en pisse quarte »

En effet, le vin de Montmartre était du blanc, de robe très claire. En effet, du fait de l’emplacement de Montmartre, le raisin ne murissait pas toujours suffisamment.

Aux XVIIIe et XIXe siècle, ce vin désaltérant se vendait bien dans les guinguettes. Il apportait du réconfort aux promeneurs, mais aussi aux habitués de ces établissements qui y trouvaient un peu de détente au vert.

 

Saint Denis et Bacchus

Dans son étude sur le Vieux Montmartre, Charles Sellier s’intéressa à la proximité de Bacchus et de Saint Denis. Cela avait son importance pour la butte. En effet, on y racontait que ce fut là que Saint Denis vécût son martyr. Ainsi, Montmartre était un haut lieu de pèlerinage.

Aussi, Sellier mit en avant la ressemblance des noms entre Denis et Dionysos, le nom grec du dieu. Cette proximité concernait aussi ses compagnons, Rustique, proche des fêtes rustica lors des vendanges et Eleuthère, non éloigné d’Eleutheros, autre nom du dieu chez les grecs.

En tout état de cause, lors des vendanges, le respect dû à Bacchus était essentiel à Montmartre. Il était d’usage de disposer d’une statue du dieu dans le pressoir ; toute personne y entrant devait y faire une génuflexion, faute de quoi elle risquait des coups de bâtons.

 

La logique de clos

Comme en Bourgogne, on cultivait la vigne dans des parcelles cernées de petits murs : les clos. Cette tradition ne concernait pas seulement Montmartre mais l’ensemble de la région parisienne. Charles Sellier put retrouver un certain nombre de ces parcelles tant sur la rive droite que la rive gauche. On y avait le Clos des vignes, le Clos Bruneau, le Clos des Chartreux, le Clos Georgeau.

 

La maladie de la brique

Le déclin du vignoble de Montmartre démarra à la Révolution française. Au XVIIIe siècle, le vignoble se trouvait principalement sur les coteaux, notamment sur le versant sud. On y distinguait le haut côteau près de la place Saint Pierre et de l’emplacement du square Louise Michel et le bas côteau, vers la rue Tardieu.

Dans les premiers temps, les vignes furent endommagées par des opérations de défense. Du fait de sa hauteur, la Butte Montmartre était une position stratégique majeure dominant la ville.

Lors de la bataille de Paris en 1814, elle abrita de nombreux combats. La défense des moulins y fut héroïque.

Ensuite, progressivement, de plus en plus de monde vint sur la Butte. Pour se promener d’abord et profiter des guinguettes sous les moulins, pour poursuivre. La barrière Blanche n’était pas bien loin.

Dans les années 1860, elle se retrouva dans le périmètre annexé par Paris, étant à l’intérieur de l’enceinte de Thiers. L’urbanisation se faisait à grande échelle. Rapidement ! Aussi, nombre de propriétaires terriens préféraient vendre leurs morceaux de terre. La vigne était arrachée à tour de bras. Elle était victime de la maladie de la brique, comme on le disait.

Ainsi, Montmartre disposait de moins en moins de clos. Parmi les derniers à disparaître, on compte le clos de vigne de Lamarck, situé dans un espace aujourd’hui entre les rues Lamarck et des Grandes Carrières, sur le versant nord de la Butte.

 

La renaissance de la vigne à Montmartre

Au début des années 1930, le conservateur en chef des promenades de Paris se lança dans une nouvelle aventure. Il proposa qu’on rétablisse une parcelle de vigne à Montmartre, en souvenir des anciens temps.

Il y avait, près de la rue Saint Vincent, une petite parcelle non construite, du fait de sa pente. Aussi, il fut jugé intéressant de la transformer et la planter de vigne. Toutefois, son installation ne se fit pas sans se poser de question.

En effet, elle était sur le versant nord de la Butte, côté moins favorable pour la culture de la vigne que le versant sud. On dut réfléchir à des pratiques culturales tenant compte de cette spécificité.

En outre, on voulait pouvoir vendanger début octobre à l’occasion de belles fêtes. Pour ces raisons, les ingénieurs agronomes ne retinrent pas la variété historique présente à Montmartre mais celle de la treille du roi de Fontainebleau.

La plantation fut l’occasion de réjouissance en avril 1932. On fit venir les Actualités cinématographiques, mais aussi foules de personnalités pour accompagner ce lancement. Réussi, car la vigne continue à s’y plaire de nos jours.

 

La fête des vendanges

Au début du mois d’octobre chaque année, on fête les vendanges à Montmartre. Ces réjouissances sont l’occasion de faire venir du monde pour vendre le produit de la vigne des dernières années et de reverser les recettes pour différentes actions. C’est aussi la fête de l’esprit village de Montmartre.

Dès l’origine, lors de la renaissance du Clos de Montmartre, on voulait que cette fête se tienne à cette date, de sorte que les parisiens soient bien rentrés de leurs congés. Le cépage avait été choisi avec soin, afin qu’il ne murisse pas trop tôt.

Vous pouvez toujours vous rendre à ces festivités, attirant des célébrités plus ou moins connues.

 

Sources bibliographiques

 

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