Histoires de Paris

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Histoires de quartier

Le père Lathuile

Le père Lathuile : adresse célèbre de la place de Clichy et  fameux habitant des Batignolles du XIXe siècle !

 

Habitué à venir sur la place de Clichy, mon regard avait a été attiré un soir par une plaque présente en haut de l’avenue de Clichy : le père Lathuile. En lisant rapidement, je découvris qu’il s’agissait d’un ancien restaurant, mais aussi un héros d’une bataille oubliée dont seul le monument la place de Clichy nous rappelle : le siège de Paris de 1814.

A mon habitude, je me suis penché sur des archives pour tenter d’en savoir plus. Au fil des publications, une question devenait languissante et se renforçait : qui était le père Lathuile ?

Un homme ? Une adresse ? Un restaurant ? Une image populaire ? Comme nous allons le voir, toute les facettes se combinent et il est bien délicat de les distinguer.

 

Lathuile, un certain nom des Batignolles

Pour commencer, comme vous avez pu le percevoir avec cette très rapide introduction, le père Lathuile était d’abord une enseigne : celle d’un restaurant tout près de place de Clichy. Mais c’était aussi le nom d’une famille installée depuis longtemps dans le quartier.

En effet, les Lathuile formèrent une véritable dynastie, se transmettant leurs activités et leur patrimoine. Leurs plus grandes richesses étaient leur nom, leur sens des affaires et bien sûr leur implantation.

Ainsi, à l’origine des Lathuile aux Batignolles, nous trouvons des paysans. Ils avaient une activité déjà d’une certaine taille à en croire la dimension de leur cheptel : soixante vaches, une quantité impressionnante de volailles. Tous les jours, ils livraient aux parisiens à proximité lait et œufs. Le débouché était assuré.

Seulement, avec l’agrandissement de la ville, les limites de Paris sont toujours repoussées. Dans les années 1780, une barrière fiscale est installée :  le mur des fermiers généraux. Elle fixe la limite de l’octroi. Toute marchandise, notamment la viande et le vin est taxée au passage de la barrière. Une station est construite à l’emplacement de la place de Clichy. Pour les Lathuile, c’est une véritable aubaine : ils construisent une guinguette sur l’axe qui deviendra l’avenue de Clichy. Là, comme de nombreux restaurateurs, ils accueillent une foule de parisiens, recherchant à égayer leurs dimanches en mangeant bien, en buvant beaucoup et en dansant.

Au fur et à mesure que les années passent, les Lathuile se transmettent ce beau patrimoine. On compta jusqu’à sept générations. Le dernier représentant fut M. Gauthier Lathuile, entré dans la famille par mariage, ayant épousé la fille de Jean Marie Lathuile, l’emblématique tenancier du restaurant.

 

Une guinguette devenue restaurant, puis un café-concert

Comme nous l’avons écrit, l’histoire du père Lathuile avait démarré par une ferme. Elle fut suivie par une guinguette installée en 1790. Les temps sont troubles mais un mouvement est engagé. Les Parisiens recherchent la possibilité de se rendre au vert, lors de leurs jours de détente. Certains vont plus ou moins loin. D’autres s’arrêtent seulement aux limites de la capitale.

Poursuivant la pratique des guinguettes qu’on trouvait déjà sur les collines des bords de Paris, ou sur les bords de Seine, ces établissements vendaient des moments de détentes les dimanches en particulier. On y dansait, on y mangeait, on y buvait : on profitait de la vie, dès que les beaux jours étaient de la partie.

Puis avec le temps, le père Lathuile monta en gamme. Il tira parti de son beau jardin, tant pour accueillir des grandes fêtes à l’occasion de mariage ou de réceptions professionnelles, que pour proposer des espaces pour des rencontres plus discrètes. Les Parisiens cherchent en effet à pouvoir partager des moments festifs en collectivités, mais cultivent de plus en plus également les moments plus tranquilles avec des amis et des proches. Tout ce qui met en avant la nature est propice pour cela : le romantisme est en marche.

La cuisine du père Lathuile est réputée. Sa recette du poulet se diffuse et la réputation de l’adresse se renforce toujours davantage.

Un peu avant la fin du XIXe siècle, les gérants du restaurant se lance dans le café-concert. A cette époque, le boulevard de Clichy, tout comme les quartiers Blanche, Anvers et Pigalle font parties des références dans ce genre d’amusement. Alors le père Lathuile s’y essaie mais avec peu de succès. Il cherche à un moment à s’établir comme casino, mais cela ne prend pas. L’adresse ferme en 1905 et le père Lathuile disparait véritablement

 

Jean Marie Lathuile, le père Lathuile emblématique

Pour beaucoup, le véritable père Lathuile c’est lui : Jean Marie Lathuile. C’est lui qui préside à la destinée des lieux pendant son époque dorée. C’est lui qui renforce la notoriété du nom, la personnifiant à ce point qu’il est impossible de faire la distinction entre sa personne, son nom et celui de son établissement qui l’avait pourtant précédé et qui lui survivra.

Auréolé par une certaine gloire sur laquelle nous reviendrons, il prend vraiment les rênes de la guinguette familiale à la fin des années 1810. Sous la Restauration, il développe son affaire, créé un entregent, attire des grands noms. On raconte qu’il était particulièrement grand, puissant et s’habillait avec une longue redingote et portant le chapeau de feutre haut.

Au fil du temps, il devint une institution dans le quartier, tant et si bien que celui-ci fut totalement abasourdi à l’annonce de sa mort.

Son côté héroïque et massif ne lui retirait pas son sens des affaires. Il sentit l’évolution de la population qui avait cours dans son quartier et adaptait son établissement dans ce sens. C’est lui qui poussa à la transformation en restaurant.

 

Le souvenir d’un héroïsme face à l’ennemi et lors de la défaite

1814 ! Une coalition ennemie est aux portes de la capitale. A ce moment-là, la défense est très limitée, mais les Prussiens et les Russes n’osent pas s’aventurer dans les petites rues. Aussi, ils cherchent à obtenir le dénouement de la campagne par des batailles décisives de l’autre côté de la barrière. Une de celles-ci eut lieu à la barrière de Clichy. Pendant une journée, les soldats se battirent, avant que la défaite ne soit obtenue et que Napoléon abdique.

Pour le jeune Jean-Marie Lathuile, c’est un grand jour. Il ne compta pas ses efforts et ses effets pour tenter de maintenir en respect les assaillants. Il faut dire que sa guinguette est particulièrement exposée : en haut de l’avenue de Clichy, juste à l’extérieur de la capitale. Tout y passe et promets même de donner ses réserves de vin. Pas question pour lui que les ennemis puissent trouver l’occasion de s’en emparer. Ce serait tellement gâcher.

En tout état de cause, le jeune Lathuile se bat. Il trouve ainsi les marques d’héroïsme sans perdre la vie comme certains Debray au même moment, les propriétaires du moulin de la Galette.

 

Les différentes clientèles du père Lathuile

Comme nous avons pu le voir, la première clientèle du père Lathuile était des gens sans beaucoup de sous, cherchant principalement à passer du temps agréable en s’amusant, au vert et en buvant. Les ouvriers du Roule et les charbonniers avaient leurs habitudes dans les guinguettes de la barrière de Clichy.

Puis, le village des Batignolles commença à se développer. Ce n’étaient plus seulement des ouvriers qui venaient vivre ici, mais des petits bourgeois. La fête du 15 août des Batignolles plaisait beaucoup et faisait venir du monde.

Aussi, tout le quartier se transformait et s’urbanisait. Les vestiges de la campagne disparaissaient.

Dans les années 1830, le père Lathuile était animé par les rencontres d’écrivains romantiques, avec Victor Hugo et Alfred de Musset au premier rang. Cette présence artistique attirait d’autres personnalités comme des actrices et des filles à la mode. De fil en aiguille, la renommée du magasin se renforçait et aidait à la montée en gamme.

Dans les années 1870, ce sont les peintres impressionnistes qui vinrent ici. Manet, dont une retrouvaille d’adieu fut organisée chez le père Lathuile, laissa parmi ses toutes dernières toiles un souvenir des temps passés dans le jardin du restaurant. Emile Zola, un voisin, était aussi un habitué. L’histoire, ou la rumeur, raconte qu’il ne laissait que peu de pourboire.

 

Les différentes figures du père Lathuile

Pour finir cet article, revenons sur différentes facettes du père Lathuile. Nous avons pu dans ces lignes distinguer les personnages de l’endroit. Seulement, la renommée se poursuivi après la mort de Jean Marie Lathuile mais aussi de la fermeture du restaurant. Ainsi, la figure du héros, de l’homme d’affaires fut complétée par d’autres, notamment dans la littérature et le cinéma.

Dans les salles obscures des années 1920, on pouvait voir un père Lathuile jouant au père Noël. Malgré sa situation matérielle pas simple [ce qui ne devait pas être le cas du véritable père Lathuile], il accueillit un pauvre enfant traînant dans la rue. Notre homme, dans sa grande générosité, lui offrit des magnifiques cadeaux pour Noël.

Dans un autre récit, littéraire cette fois-ci, le père Lathuile est un vieil ivrogne qui prend un malin plaisir, après s’être laissé aller à la boisson, à se faire enfermer dans une des cellules du commissariat du quartier. Il poussa la fantaisie jusqu’à demander qu’on revoie la décoration pour lui…

 

Sources bibliographiques :