Les magasins de nouveautés de la rue Saint Honoré
Les magasins de nouveautés de la rue Saint Honoré : précurseurs, ils profitèrent de cet axe passant dès 1830.
Grâce aux archives de presse mises en ligne par la Bibliothèque Nationale de France dans le site Retronews, nous nous intéressons à l’histoire des magasins de nouveautés de la rue Saint Honoré. Il s’agit en quelque sorte de réaliser une cartographie, bien sûr incomplète, de ces magasins si importants dans l’imaginaire parisien, à l’origine des grands magasins.
Dans cette recherche, nous avons été frappés par le nombre de ces magasins de nouveautés dont l’activité s’étalait largement entre les années 1830 et 1870, soit au cours de la Monarchie de Juillet et du Second Empire.
C’est un véritable parcours dans cette rue encore marchande aujourd’hui (selon des schémas toutefois différents) et retour pratiquement deux cents ans en arrière.
Mise en perspective et l’importance dans la moitié du XIXe siècle de la rue Saint Honoré
Bien sûr, nous n’allons pas tenter dans ces quelques lignes de vous proposer une histoire de la rue Saint Honoré. Cependant, voici quelques propositions d’axes de repères avant de nous intéresser plus directement à ces magasins de nouveautés.
Alors bien sûr, la rue est apparue pour sa partie centrale, non loin des Halles, avec l’agrandissement de Paris réalisé par Philippe Auguste entre le XIIe et XIIIe siècle. Cette rue, reprenant le nom du saint patron des pâtissiers, du fait la présence d’une ancienne collégiale qui lui était dédiée, filait vers l’ouest. Elle menait à la porte Saint Honoré du même nom, qui se déplaça au rythme des agrandissements de Paris, rallongeant à chaque reprise notre axe.
Pendant une grande partie du Moyen Age et sous la Renaissance, le développement de Paris se faisait vers le nord et l’est. La rue Saint Antoine était alors l’axe par excellence.
Puis avec le rejet de l’Hôtel des Tournelles par Catherine de Médicis qui lui préféra le Louvre et se fit même construire le palais des Tuileries dans son prolongement, l’ouest parisien devint à la mode.
Ce phénomène s’accélérera ensuite du temps des Bourbons. Aussi, seul axe véritablement du centre vers l’ouest (en dehors des quais de Seine), la rue Saint Honoré devint rapidement très importante et très fréquentée. L’urbanisation de ce côté de Paris (parmi lesquels on peut citer celle de la butte Saint Roch), fut très dynamique dans la première moitié du XVIIe siècle (avec l’installation d’artistes à la mode comme Corneille, puis Lully).
Aussi, cette rue, agitée et souvent révolutionnaire, était clef pour son passage encore à la moitié du XIXe siècle. Une telle situation ne pouvait qu’attirer des marchands recherchant le flux de passage pour présenter leurs marchandises diverses et variées. C’était bien évidemment encore le cas en 1830.
Des magasins de nouveautés qui apparaissent au cours des années 1830
Sous la Restauration, se développe un nouveau type de commerce. Sous les voûtes du Palais Royal, alors à la main des Orléans (dont est issu le roi Louis Philippe), apparaissent des nouveaux magasins proposant de nombreux vêtements et autres linges, attirant une grande foule de parisiens fortunés. Cette nouvelle mode lance un nouveau format de boutiques : les magasins de nouveautés.
La rue Saint Honoré n’est pas bien loin. Aussi, des magasins déjà installés décidèrent de se lancer dans ce nouveau format, en s’agrandissant souvent pour proposer des ventes en grandes quantités et à bon marché.
Les publicités que nous avons trouvées dans les journaux d’alors, insistent bien sur ce fait. Il était de bon ton de montrer à la fois son ancienneté (afin de maintenir une confiance avec la clientèle et pour aider à le retrouver) et sa modernité (en faisant de la communication et en s’agrandissant).
Quelques codes de ces magasins de nouveautés !
La plupart des publicités que nous avons retrouvés insiste sur des caractéristiques communes pour ces magasins de nouveautés. Tout d’abord, ils proposent des vêtements, des toiles et des linges dans une grande quantité, qui leur permet à la fois de pratiquer des prix limités et de les annoncer dans leur communication. A la quantité, il proposait des engagements sur la qualité. Nos vendeurs se vantaient de relation directe avec des fournisseurs pouvant réaliser à un niveau industriel ces collections. Et comme on ne rigolait pas, les marchands n’hésitaient pas annoncer qu’ils étaient totalement ouverts à la reprise ou à l’échange, si leurs clients n’étaient pas satisfaits.
Nous avions ainsi la meilleure qualité au meilleur marché. C’était d’ailleurs un véritable slogan qu’on trouvait dans les nombreuses réclames de ces magasins. Chacun revendiquait être le moins cher et le meilleur en termes de qualité, à longueur de pages de journaux.
En outre, ces commerçants n’hésitaient pas à élargir leur diffusion en communicant dans les journaux d’autres régions, annonçant prendre à leur part les frais d’expédition. Il s’agissait pour eux de suivre leurs clients parisiens rejoignant leurs résidences de campagne mais aussi de disposer d’autres relais de croissance.
Enfin, pour finir, ces magasins proposaient des nouvelles collections régulièrement, alimentant par la même la conception de la mode. C’était sur ce point une évolution. Bien sûr, la mode se faisait encore au sein des palais princiers d’alors, mais les magasins de nouveautés apportaient leur contribution en permettant sa diffusion plus largement au sein de la société bourgeoise de Paris.
Des noms de magasins se cherchant encore, entre ancienneté et modernité
Comme nous sommes encore aux débuts de ce commerce, les noms des magasins sont encore hésitants. Plusieurs restent sur leur ancienne dénomination, ajoutant au patronyme du propriétaire le mot de maison (Maison Barbaroux, Maison Provost). D’autres restent sur des anciennes enseignes (Bon Pasteur, Petit Chaperon Rouge, A la Crèche). Enfin apparaissent les noms précisant le lieu du dépôt, mode qui se développera sous le Second Empire (Saint Roch).
A noter le cas de la Maison Barbaroux qui tout au long de son existence hésitera entre cette dénomination et ‘A l’arbre sec’. La Maison Desvaux cherche également à associer ‘Aux innocents’ dans le même registre
Les magasins de nouveautés : une approche unique dans la rue Saint Honoré ?
Le livre d’Emile Zola sur le Bonheur des Dames alimente aujourd’hui notre imaginaire sur les grands magasins, laissant penser que c’était une invention de ces puissants entrepreneurs de la deuxième partie du Second Empire et des débuts de la Troisième République. Cependant, comme nous avons pu le voir, les magasins de nouveautés, présents dés les années 1830 et se développant fortement dans les deux décennies qui suivirent, s’appuyaient déjà sur nombre de leurs concepts. C’était bien sûr le cas du Bon Pasteur, L’Héritière, A la Crèche,
Cependant, ces magasins n’étaient pas totalement dans un format unique. Nous pouvons citer par exemple le magasin Jeanne d’Arc qui soldait les marchandises issues de commerce ayant fait faillite. D’autres, comme Tucker, étaient davantage spécialisé sur certaines marchandises comme les sommiers. Provost était le spécialiste du vendeur de soie. Charbonnier était un bandagiste, expert dans les ceintures contre le mal. On peut aussi citer les caoutchoutiers Lebigre (inventeur du manteau se mettant dans la poche) et Lerat (vendeur de chaussure et de baignoires portatives).
Certains magasins pouvaient être les dépôts directement pour des industriels souhaitant suivre certains codes de ce commerce. Pour eux, les nombreuses expositions (d’abord des produits de l’Industrie, puis universelles) organisée à Paris, étaient l’occasion d’obtenir des récompenses, gage de qualité. La période est alors à l’inventivité la plus large possible. C’est d’ailleurs le cas souvent des magasins spécialisés décrits précédemment.
Sans être des vendeurs de textiles, les chocolatiers reprenaient aussi les recettes de commerce. Cuillier proposait « le meilleur et le meilleur marché » de ce breuvage considéré encore à cette époque comme un véritable met de luxe. Devinck apportait de l’exotisme avec les proverbes chinois glissés dans ses bonbons.
Déclin de magasins impliquant le déclin d’une rue ?
Le XIXe siècle est pour Paris l’occasion de revoir son organisation urbaine. Déjà sous Napoléon Ier, on avait percé la rue de Rivoli pour rejoindre la place du Palais Royal à celle de la Concorde, en longeant la nouvelle galerie en cours de construction. C’est l’occasion de créer un nouvel axe allant du centre vers l’ouest, concurrençant la rue Saint Honoré. Cependant, ce phénomène s’accéléra lorsque la rue de Rivoli fut prolongée vers la place de la Bastille au début des années 1850 sur ordre de Napoléon III.
Aussi, pour plusieurs des magasins de nouveautés de la rue Saint Honoré, cela signifie l’expropriation, situés sur les zones de travaux (tout près de la place du Palais Royal notamment) et le déménagement comme pour le Bon Pasteur rejoignant la rue des Petits Champs. Ensuite, c’est une nouvelle concurrence qui se forme, profitant de bâtiments plus grands d’une part et surtout des nouvelles lumières apportées. La rue Saint Honoré cesse d’être le lieu à la mode pour faire ses courses et transmet le flambeau la rue de Rivoli, si proche et qui lui vole la vedette sur l’autel de la modernité. Certains entrepreneurs préfèrent participer aux évolutions du commerce, en fusionnant avec les grands magasins naissants, comme la Maison Saint Roch, membre fondateur des Magasins Réunis s’ouvrant dans la future place de la République en 1866.
Lors de la fermeture, ces magasins organisaient souvent des liquidations. Il s’agissait en quelque sorte d’une opération commerciale en bouquet final. On y trouvait des produits avec des promesses de plus fortes réductions. Ces ventes comme celle du Petit Chaperon Rouge pouvaient s’étaler sur plusieurs mois.
La presse annonçait également la dissolution des sociétés comme elle avait fait part en amont des éventuels changements de main. Le magasin de l’Héritière est très intéressant à ce titre.